Le crépuscule s'approchait. Derrière la vitre froide et austère de la librairie où il travaillait, Andrew pouvait apercevoir le soleil à la lueur orangée se perdre à l'horizon et s'enfoncer dans des ténèbres grandissantes. Une légère brise soulevait quelques feuilles mortes en les faisant virevolter dans la rue où se pressaient encore des passants. Andrew soupira. Un nuage de buée se dessina sur la vitre. Il se surprit à griffonner dessus, comme il le faisait autrefois avec sa sœur sur la fenêtre de leur chambre. Chassant le souvenir d'Ailein de ses pensées, il referma d'un geste vigoureux l'ouvrage flambant neuf d'Expiation, le dernier roman moldu qu'il avait lu. Il le rangea avec les autres écrits de Ian McEwan qui s'étalaient devant lui sur une petite étagère de bois sombre. L'aspect modeste du lieu n'avait rien à envier aux librairies des grandes avenues londoniennes. La petite boutique où il travaillait depuis l'avènement de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom était certes d'importance moindre et ne proposant ni prix réduit, ni cappuccino, mais elle possédait quelque chose de capital. Des libraires passionnés par leur travail et compétents en matière de littérature.
Lorsqu'il eut fini de ranger le carton qui concernait la littérature anglaise, Andrew entreprit d'ouvrir celui qui contenait les guides touristiques. Il dût faire un geste maladroit car le cutter qu'il tenait fermement de sa main droite lui échappa et alla faire une entaille à son index. Contenant un cri de surprise, Andrew poussa un juron inaudible en laissant l'objet tranchant et teinté de son sang tomber à terre. Agacé, le jeune homme sentit que son mal de tête s'amplifiait. La journée avait été maussade, peut-être aurait-il mieux valu qu'il reste couché ce matin-là. Il jeta un coup d'œil à la pendule de la boutique qui indiquait presque 7h. Les quelques clients qui traînaient encore dans la librairie semblaient se diriger vers la caisse. Andrew sortit un mouchoir de sa poche qu'il utilisa pour panser sa plaie.
Quel enfer ! Bien qu'il ait grandi dans un univers moldu, il s'apercevait chaque jour passant qu'il n'était rien sans sa baguette. Et il était impuissant. Impuissant face aux événements qui se déroulaient au-delà la vitre de cette petite librairie moldue, impuissant face aux souffrances qui touchaient les individus qui avaient le malheur de croiser la route des Mangemorts, impuissant face au départ de sa sœur... D'un naturel toujours avenant, Andrew sentit pourtant la crise de nerf sur le point d'exploser. Il se contint pourtant lorsqu'il croisa du regard un petit garçon occupé à déchiffrer un album aux couleurs chatoyantes, inconscient des maux du monde des adultes.

Quelqu'un poussa la porte de la boutique. Une jeune femme aux longs cheveux auburn à laquelle Andrew n'accorda qu'un bref regard. L'heure de fermeture approchait à grands pas. IL se voyait déjà rentrer chez lui, lancer sa veste à terre et s'effondrer encore tout habillé sur son lit, plongeant dans l'insondable monde du sommeil. Même si ce qui l'attendait n'était qu'un petit appartement vide, ces pensées l'aidèrent tout de même à tenir le coup les minutes passantes. Remis de son petit accident, Andrew s'était de nouveau attelé à sa tâche qu'il poursuivait sans le moindre enthousiasme.
Alors qu'il entreprenait de saisir la dernière pile d'ouvrages que contenait le carton, Andrew se sentit défaillir au son d'une voix qui, sans le moindre doute s'adressait à lui. Une voix à l'intonation si familière, une voix qu'il avait rêvé d'entendre depuis ces longs mois de solitude, une voix qu'il avait désespéré à entendre depuis lors, que son cœur fit un bond dans sa poitrine. Il leva immédiatement les yeux vers son interlocutrice, et son sentiment d'exhalation disparut aussi vite qu'il était apparu. D'une silhouette grande et affinée, les cheveux auburn lui tombant sur les épaules, la jeune femme qui avait poussé la porte de la boutique quelques instants plus tôt se tenait devant lui. Andrew se sentit si bête qu'il ne réalisa pas sur l'instant l'ampleur des mots que la cliente venait de prononcer.

- Excusez moi, je suis à la recherche d'un livre sur la magie en Écosse, est-ce que vous pourriez me donner un conseil ? Une certaine Ailein m'a dit que vous pourriez m'éclairer...

Rêvait-il ? Était-il tombé dans les pommes après s'être coupé avec le cutter quelques instants plus tôt et se trouvait-il dans un état d'étrange sommeil à rêver à des choses confuses et improbables ? Andrew serra du poing le mouchoir qui faisait office de pansement et la douleur qui en résulta le convainquit qu'il était bel et bien éveillé. Éveillé, mais abasourdi. Andrew chasse une fois encore sa sœur de ses pensées et s'obligea à répondre. Mais la seule chose qui sortit de sa bouche fut une espèce de bégaiement confus. Une autre pensée lui vint furtivement à l'esprit. Était-ce un piège ? Avait-on réussi à le retrouver finalement ?
D'un geste maladroit, il fourra les quelques ouvrages qu'il tenait encore dans ses bras sur l'étagère qui se dressait devant lui et, après avoir pris une grande inspiration, Andrew parvint à parler distinctement.

- Vous devez me confondre avec quelqu'un d'autre, répondit-il sans oser croiser le regard de la jeune femme, quoiqu'il en soit je peux peut-être vous éclairer sur l'ouvrage que vous recherchez. Avez-vous en tête un nom d'auteur ?

Andrew sentit que ses mains commençaient à trembler, ce qu'il parvint à dissimuler sans trop de peine. En regardant vers la porte où s'éloignaient les derniers clients, il croisa pourtant le regard de la jeune femme. Quelque chose n'était pas normal, il le sentait bien. D'un geste qu'il voulait discret, il dirigea sa main vers la poche arrière de son pantalon où il dissimulait sa baguette, attendant de voir quelle tournure allaient prendre les événements et si l'étrange impression de danger qu'il ressentait était fondée.

Son geste avait été maladroit, impulsif et irréfléchi ; que comptait-il donc faire ? Lui lancer un sort comme ça, en plein quartier moldu, se risquant ainsi non seulement à se dévoiler au grand jour, mais aussi à mettre en danger de parfaits innocents ? Andrew sentait bien que la panique l'avait saisi, et c'était toujours le cas.
Depuis que sa sœur avait quitté le pays, le jeune homme se sentait constamment observé ; il n'existait pas d'endroit sûr qui soit vraiment à l'abri des Mangemorts. Souvent, il avait songé à ce qu'aurait pu ressembler sa vie si ce jour-là il n'était pas resté à Londres. Pourquoi avoir préféré rester d'ailleurs ? La raison pour laquelle il n'avait pas cédé à la tentation de s'enfuir était encore floue, même pour lui. Mais sa situation commençait sérieusement à se révéler dangereuse. Et ce jour-là, il se sentit lâche de ne pas avoir eu le courage de partir et de laisser Ailein s'en aller sans lui.
Andrew émergea de ses pensées ; son cœur battait à grands coups contre sa poitrine. Il n'y avait pas le moindre doute pour lui. La jeune femme sembler dégager une aura de magie. Même si cette idée semblait insensée, il le ressentait, comme une sorte d'intuition. Andrew jeta un coup d'œil autour de lui. Ils se trouvaient presque dans l'arrière-boutique, loin du murmure de la conversation qui se tenait près des caisses et des quelques clients qui disparaissaient l'un après l'autre dans la rue presque plongée dans l'obscurité.
Un instant à peine s'était écoulé, le temps d'un jeu de regard. Alors qu'il hésitait à esquisser à nouveau un geste qui aurait dévoilé davantage ses intentions, quelque chose d'étrange se produisit, quelque chose qui figea le jeune sorcier. Il avait vu juste ; la jeune femme tenait à présent dans ses mains une baguette magique, comme sortie de nulle part. Andrew resserra sa prise sur sa propre baguette, mais n'osait toujours pas agir.

- Du calme Andrew… Ne panique pas, tu n’as rien à craindre.

La voix de la sorcière était troublante, elle déstabilisa une fois encore le jeune homme. Il ne lui demanda pas même comment son nom et celui de sa sœur lui étaient connus. C'était comme s'il avait senti que le plus étonnant restait à venir. Il demeura immobile, incapable d'esquisser le moindre geste, spectateur de la propre scène dont il était lui-même acteur. Toutefois, la jeune femme ne pointa pas sa baguette vers Andrew, mais sur elle-même.
Même s'il n'était pas étranger à ce genre de phénomène, y assister sans vraiment le comprendre était troublant. Un léger sentiment de malaise s'emparait toujours de lui quand il avait à faire à une métamorphose humaine. Le phénomène était d'autant plus effrayant dans la situation présente. En un instant, les traits de son visage se modifièrent, semblèrent se redessiner. Et sous le visage de l'inconnue apparut celui d'Ailein. Comme s'il voulait vérifier qu'il ne nageait pas en plein rêve, Andrew serra stupidement son poing, et la douleur qui en résulta le convainquit. Le doute le saisit alors, envahissant chaque parcelle de son corps et l'empêchant d'agir. Et pourtant, ce sentiment angoissant disparut en l'espace d'un regard. Andrew connaissait ce regard, et ses yeux ne pouvaient pas mentir. Quelqu'un qui aurait pris l'apparence de sa sœur à l'aide de Polynectar n'aurait pas été capable d'une pareille imitation. Ainsi, lui qui avait pourtant appris la méfiance à ses dépends durant ces derniers longs mois de solitude la laissait s'évaporer en un instant. Il savait qu'il aurait dû s'en assurer, lui poser la question qui le libérerait du danger, mais il sentait au fond de lui que c'était inutile. Il aurait reconnu sa sœur entre mille.

- Tu n’as plus rien à craindre… C’est moi, Andrew… Je… Je suis revenue…

Sans dire un mot, Andrew esquissa un sourire enfantin. Il contint son envie de lui sauter au cou, et l'attira dans l'arrière-boutique.

- Qu'est-ce que tu fais là ? Depuis quand es-tu revenue ?

Il ne parvenait pas à réaliser et s'attendait à tout instant à se réveiller. Et à chaque fois que cette impression le prenait, il serrait son poing, seule assurance qu'il avait bien les pieds sur terre, sa sœur enfin à ses côtés.

Inespérée. Tel était le mot qu'aurait utilisé Andrew pour décrire cette rencontre fortuite qui avait soudain renversé son quotidien bien morne. À peine avait-il prononcé quelques mots que sa sœur l'attira contre elle pour l'enserrer entre ses bras. Le cœur du jeune homme se serra. Les mains presque tremblantes d'émotion, il lui rendit son étreinte. Un flot de sensations familières lui revinrent en mémoire. L'odeur d'Ailein, la douceur de ses gestes, le son de sa voix... Un instant plus tard, ils relâchèrent leur étreinte, comme pour prendre le temps de se regarder l'un l'autre. Andrew sentit les yeux de sa sœur plonger dans les siens. Elle avait toujours su lire en lui comme dans un livre ouvert. Pouvait-elle deviner, rien qu'au contact de ses yeux, ce qui s'était passé ?

- Je suis arrivée en début de semaine, et depuis, il m'a fallu un peu de temps pour retrouver ta trace. Pourquoi je suis là ? Ça ne te paraît pas évident ? Pour toi bien sûr...

Pouvait-elle lire le désespoir qui grandissait en lui depuis son départ ?

- C'est juste... je ne m'y attendais plus...

C'est à peine s'il trouvait les mots pour lui parler. Comment aurait-il pu lui avouer qu'il en était presque arrivé au point de ne plus trouver la force d'espérer sa venue ? Combien de fois n'avait-il pas regretté de ne pas avoir quitté le pays avec elle ? Quel mot de réconfort, quelle parole rassurante pouvait-il lui offrir ?

- Je ne pouvais plus rester là-bas, en sécurité en te sachant ici... On pouvait retrouver ma trace à tout moment. Mais vivre recluse n'a aucun sens. Je pensais... Non,j'espérais en vain que toute ce raffut ne serait que passager. J'avais tort. Et maintenant je ne sais plus quoi faire Andrew... Je ne peux pas me cacher éternellement, vivre ainsi n'a plus d'intérêt a mes yeux. Les limites de son pouvoir s'étendent chaque jour, bientôt, il n’y aura plus un seul endroit sûr. Ici au moins, on ne m'attends pas, pour le moment...

L'écoutant d'une oreille attentive, Andrew ne détachait pourtant pas complètement son regard du comptoir de la boutique où quelques yeux curieux se dirigeaient vers eux. Un coup d'œil à l'horloge de la boutique ne semblait pas suffire à le rassurer. Plus que quelques maigres minutes avant la fermeture. Le ciel ne cessait de s'assombrir au-dehors tandis qu'un nuage de brume commençait à envelopper les quelques passants qui traînaient encore dans les rues.
"Vivre recluse n'a aucun sens", Andrew n'aurait pu être plus d'accord, et pourtant c'est ce qu'il faisait depuis le départ de sa sœur. Peut-être était-il trop idéaliste, peut-être s'était-il trop nourri de littérature... toujours était-il qu'il semblait discerner dans les paroles d'Ailein un besoin de se battre. Lui-même avait toujours pensé que c'était l'unique solution à ce qu'il se passait dehors, au-delà des frontières d'illusions du monde des moldus. Pourtant, après la chute de l'Ordre, l'idée paraissait fantasque, risible, comme certains l'avait trouvé à l'époque... apparemment ils ne s'étaient pas trompés. Depuis, les événements s'étaient emballés, la répression se faisait plus forte que jamais. La nécessité de se cacher ne s'en faisait que plus grande. Andrew s'était pour ainsi dire évertué à disparaître du monde des sorciers. Mais il ne pouvait se contenter de ça. S'il devait vivre cette vie qu'était la sienne, il ne pouvait se résoudre à la vivre de cette façon, comme un paria, un marginal qui n'aurait jamais rien tenté, qui aurait laisser faire ces monstres... Pourtant, il savait bien que seul, il n'était rien. Revoir Ailein, lui parler de nouveau, c'était comme sentir une part de lui renaître, quelque chose qui s'était éteint depuis trop longtemps.

- Je ne sais pas encore ce que je vais faire, mais je devais te voir... Comment vas-tu, que s'est-il passé après mon départ ?

- Je ne sais même pas par où commencer... répondit-il d'une voix morne, presque éteinte.

Avant de continuer, Andrew se retourna, ferma la porte derrière lui. La pièce se retrouva soudain plongée dans une obscurité totale. Un instant plus tard, Andrew avait allumé la petite ampoule qui éclairait l'arrière-boutique d'une lumière tamisée.

- Les choses se sont tellement aggravées... après ton départ, je m'étais mis en tête que tout n'étais pas si désespéré, que ça passerait, et je suis resté quelques temps chez un ami qui habitait sur le Chemin de Traverse. Mais la situation s'est compliquée. J'ai préféré partir de chez lui, je le mettais beaucoup trop en danger. Les Mangemorts étaient partout, ils recherchaient ceux qui ne s'étaient pas soumis à la commission du sang. J'ai vite compris que je ne pouvais plus rester. J'ai pris le strict minimum et j'ai réussi à me faufiler jusque dans le Londres moldu. J'ai bien deux ou trois accrochages avec des Mangemorts mais j'ai réussi à les semer.

Andrew marqua une pause. Son récit semblait tellement confus et abstrait. Il parvint à trouver deux chaises parmi le bazar qui régnait dans la réserve et offrit de s'asseoir à Ailein tout en faisant de même. D'un geste enfantin, il prit les mains de sa sœur dans les siennes, comme pour se donner du courage avant de continuer :

- Après avoir erré quelques jours dans les rues de Londres sans savoir que faire, je suis tombé sur une amie que j'avais connu à Poudlard, que j'avais perdu de vue depuis longtemps. Elle m'a offert de m'héberger dans son appartement qu'elle partageait avec son cousin. Eux aussi étaient recherchés par le Ministère. Ils avaient réussi à se faire un petite place dans le monde moldu. C'est elle qui m'a aidé à trouver un travail ici. On a vécu tous les trois quelques semaines comme ça, en restant tout de même à l'écoute de ce qu'il se passait chez les Sorciers. Beaucoup de choses se passaient apparemment, surtout du côté de Poudlard. On apprenait que des noyaux de résistance tenaient toujours bon. Mais un jour, tout a basculé pour de bon cette fois-ci. Après une journée de travail, je suis rentré à l'appartement. Il avait été saccagé, toutes nos affaires avaient été retournées. Je n'ai jamais su comment on nous avait trouvé, et surtout je n'ai plus jamais revu mon amie et son cousin. Ils avaient littéralement disparu. Je suis parti et j'ai réussi à me trouver un autre endroit où vivre. Je n'ai gardé comme trace de magie que ma baguette, au cas où. Mais... ça fait des mois que je n'ai plus de nouvelles du monde des sorciers, de tout ce qui peut être en train de se passer.

Andrew relâcha les mains de sa sœur. Il détourna son regard. Il ne pouvait pas supporter l'idée qu'Ailein le voit ainsi. Elle devait avoir tellement honte de lui. Il n'avait même pas été capable de partir avec elle. Encore moins de pouvoir remédier à la situation du monde des sorciers. Il n'était plus que le spectre de celui qu'il avait été, condamné à vivre dans l'ombre de sa vrai nature, éloigné de ses pairs.

- Je ne savais plus quoi faire sans toi Ailein... j'ai bien cru ne jamais te revoir...

Sa voix se brisa. Après des mois d'incertitude et de terreur, il se laissa aller. Il laissa tomber son visage entre ses mains, passa une anxieuse dans ses cheveux et plongea de nouveau son regard embué dans celui de sa sœur.

- J'ai tellement besoin de toi...