Si Al Holmwood-Black lui avait dit non, là, maintenant, Tom Sallybanks l'aurait compris et accepté. Peut-être même qu'il n'aurait pas trop bronché en se faisant foutre dehors – mais ce genre de choses ne pouvait arriver qu'avec Fenton, qui avait une vague tendance à la morale, un travers dont n'était heureusement pas affligé son ancien camarade de quidditch. Donc, le non était une réponse envisageable. La dernière lueur de décence chez Sally était d'assumer ses conneries et ses arnaques : parce que c'était les siennes, il en portait la responsabilité, parce qu'il fallait répondre de ses actes lorsqu'on merdait. Et puis il y avait un certain panache, une certaine inconscience, chez Thomas : il était l'arnaqueur, et s'il se faisait prendre – ce à quoi il ne croyait pas une seule seconde, les gens étaient bien trop bêtes pour ça – il jouerait le jeu jusqu'au bout. Sallybanks n'était pas à proprement parler quelqu'un de courageux, mais il avait un certain orgueil, aussi bien qu'un certain goût pour le défi. Il perdait, lorsqu'un challenge lui était proposé, tout sens de la mesure, et il allait jusqu'au bout.
Ce n'était pas une mentalité partagée par tous. Il soupçonnait Al de se rendre compte qu'ils faisaient une connerie et de le suivre quand même parce que lui, Tom, aurait fait pareil dans ce cas, sans poser aucune question, et pas réellement pour l'argent. Aldébaran aussi était un peu inconscient. Pour le coup, c'était très Gryffondor. Les histoires de maison faisaient toujours rire Thomas, et ce, depuis Poudlard. Il aurait pu aller à Gryffondor, et Al, bon...plus ou moins à Serpentard. C'était réducteur. Peu importait. Ils partageaient une certaine inconscience, et puisqu'ils étaient amis depuis toujours ou presque, il fallait bien qu'ils finissent par faire quelque chose de vraiment audacieux ensemble. Un truc à deux cent cinquante mille gallions chacun, par exemple.
Il s'empara du costume noir, l'assortissant d'une cravate bleu sombre, écoutant Al en même temps. Renonçant à nouer sa cravate lui-même, puisqu'il n'avait jamais su faire correctement et que ce n'était pas ce jour là qu'il avait le temps d'apprendre, il la tapota d'un coup de baguette magique et le nœud se fit de lui-même. Il murmura un autre sort, se créant ainsi une affreuse moustache noire proche de celle de Fairfax. D'un troisième sort, ses cheveux, à moitié gris – le coté Hyatt – et moitié châtain foncé – le coté Sallybanks – devinrent d'un noir de jais. D'un dernier sortilège, il les ramena en arrière. Fairfax avait à peu près son âge, mais le début d'une calvitie impossible à combattre, et l'air d'un escroc fini alors qu'il était l'homme le plus honnête du monde – et au passage, le plus aristocratique. Ce sang mêlé avait un grand-père membre de la chambre des lords, tout de même. Testant le personnage, Tom se prit à tester le personnage en testant un accent très londonien, mais un londonien chic, à l'élocution cordiale, presque brouillée, très différent du cockney mêlé d'un peu d'irlandais qui lui était naturel.
« Ce sera une excellente idée, Burgess, comme toujours. » Il sourit, et reprit son timbre habituel, tout en enfilant sa veste :
« Pardon, je règle les derniers détails de mon rôle. L'habitude. Mais oui, la poudre de cheminette est le moyen le plus sur, je pense. Oh, oui, j'oubliais, tu as encore tes lunettes de soleil ? Tu sais, les bleues ? Burgess en a toujours. Ce serait bien que tu les aies. » Contrairement à l'oncle Vega, qui allait râler à coup sur. Il jeta un coup d'oeil au miroir et jugea que l'effet était réussi.Puis il récupéra l'ordre sur la table. Un peu de sang, mais bon, ça s'expliquerait facilement. Il se tourna vers Al avec un léger sourire et lui asséna une bourrade amicale :
« Si ça foire, toi, tu cours. Moi, je me démerde. » Le ton était ferme, assuré. C'était moins un conseil qu'un ordre.
« Tu disparais, tu te débarrasses de ce costume, tu dis que t'étais ici. Tu me laisses sur place, et tu préviens Fenton. Mieux tu ne fais rien, ils finiront par le prévenir quand même. Il est toujours avocat, même s'il n'exerce plus que pour mon père – et moi à l'occasion – il faut bien qu'il serve à quelque chose. » Nouvelle tape sur l'épaule, assortie d'un sourire confiant :
« Mais ça se passera bien. On y va, mon vieux ? On va finir par manquer de temps. Je passe devant. » Il articula clairement le nom du bar. Suivi par Al, ils arrivèrent un instant plus tard au Chaudron Baveur. Le vieux barman, Tom, les accosta :
« Bonjour, monsieur Burgess, monsieur Fairfax. Oh, bah, dites donc, un client vous a cassé la gueule, ou quoi ? » Il retourna vers le comptoir :
« Vous avez oublié votre chapeau et vos gants, la dernière fois. Tenez. Vous prenez un verre ? -Je vous remercie, Thomas. Nous n'avons pas le temps. » Toujours la même voix, si différente de celle de Tom Sallybanks. Il coiffa le chapeau melon de l'avocat avec naturel et enfila les gants. Il était désormais la copie quasi conforme de
Melvin Fairfax.
« Une autre fois, sans doute. Merci pour le chapeau. »Le patron du bar les salua, et ils purent émerger dans la rue. Gringotts n'était qu'à quelques mètres. Tom sourit, toujours amusé, alors qu'ils arrivaient à la queue devant le service de sécurité et ajouta à voix basse à l'attention de Al :
« Les gens ne font attention à rien, en fait. Il suffit de leur montrer quelque chose de reconnaissable. Ils se fixent sur les choses, et si tu leur donnes ce qu'ils veulent voir, ça marche. Ils ne regardent pas vraiment. Même moustache, mêmes lunettes, et ça passe. C'est assez facile, en fait. » La femme devant eux avait un sac énorme ; un objet semblait déplaire à la sonde, à l'intérieur, et la faisait sonner. Saisissant l'occasion au vol, Tom lança un sort de capharnaum : ce n'était pas un sort de multiplication, il y avait autant de choses, mais il allait devenir quasiment impossible de retrouver quoique ce soit dedans. Cela mettrait un temps infini. Il monta une marche pour adresser quelques mots à l'agent, qui paraissait excédé :
« Excusez moi, est-ce qu'il serait possible d'avancer ? Toute la queue est bloquée. » C'était un quitte ou double, l'agent pouvait très bien l'envoyer valser, mais il leur fit signe de passer en levant les yeux au ciel.
« Pas besoin de passer la sonde ? Non. Merci à vous, c'est très aimable. Venez, Burgess, nous avons une chance incroyable. Ah, je vois que ce guichet est libre. » Mine de rien, il n'était pas si rassuré que ça. Voleur, tu trouveras, en guise de richesse, le juste châtiment de ta folle hardiesse. Il se souvenait de l'éclat de rire tonitruant de son père lorsqu'il l'avait accompagné à la banque pour la première fois. Si tu savais combien d'argent détourné légalement dort chez Gringotts, Tom, tu saurais que cette inscription ne veut rien dire. Mais penser à l'hypocrisie de l'endroit ne rassurait guère Thomas, en fait. Un gobelin au comptoir était libre. Il se dirigea droit sur lui, murmurant un dernier conseil à Al :
« Maintenant, quoique je dise, aucune contradiction, sinon on est foutu. Et quoiqu'il se passe, pas de descente dans les coffres. » Le gobelin leva la tête vers lui. Tom reprit la voix de Fairfax :
« Bonjour. Je souhaiterai rencontrer Atric. Je suis Melvin Fairfax, et voici mon associé, John Burgess. Nous sommes les avocats de monsieur Ernest Chambers.- Bien entendu, monsieur Fairfax. » Le gobelin les observa tour à tour d'un œil sévère.
« Puis-je voir votre baguette, ou un titre d'identité ? - Nous avons un mandat signé par monsieur Chambers. » Il dégaina l'ordre. Même s'il y avait du sang dessus, la signature était parfaitement lisible et authentique.
« C'est une affaire très urgente et confidentielle. Notre venue n'a rien d'officiel. -Je regrette, mais l'ordre est au nom de...- Cet ordre a été extorqué par une manœuvre fallacieuse à mon client. J'ai été molesté afin de récupérer ce document. J'exige de voir Atric afin de trouver une solution. Appelez le et voyez s'il refuse de nous recevoir. Je suis sur que monsieur Chambers, qui est au conseil d'administration de la banque, je vous le rappelle, sera ravi d'apprendre que vous refusez que ses avocats voit son banquier.-Je...bon. Venez avec moi, messieurs. »
Le gobelin fit le tour du comptoir et les emmena jusqu'à l'une des multiples portes du grand hall de Gringotts. Elle donnait sur un salon confortable. Il adressa un clin d'oeil à Al. Pour l'instant, tout se passait bien. Peu après, un autre gobelin, un peu plus jeune, y entra. Lui aussi les inspecta d'un œil sévère, comme s'il cherchait à analyser ce qui n'allait pas dans leur attitude et dans leur présence, mais finalement, il lança :
« Monsieur Burgess et Monsieur Fairfax. Avez-vous fait une mauvaise chute, monsieur Fairfax ? On vous reconnaitrait à peine. Votre visage est très tuméfié. »
Tom s'autorisa un sourire compassé, tout à fait dans le style de l'avocat qu'il jouait. La vraie partie commençait maintenant, et il fallait s'attendre à ce qu'elle soit dure. Il salua le petit gobelin et répondit d'un ton égal :
« J'ai peur que chute ne soit pas le terme approprié. C'est à ce sujet que nous venons vous voir. » Il ménagea un peu son effet, et s'installa confortablement dans un fauteuil alors que le banquier gobelin leur désignait un siège.
« Avant toute chose, je pense que vous avez croisé David Hyatt, qui était le nouvel avocat de monsieur Chambers. Notre client avait de nombreux projets avec ce monsieur et lui a déjà cédé deux cent cinquante mille gallions. Nous avons cependant découvert que ce personnage n'était pas avocat mais un vulgaire escroc, n'est-ce pas, Burgess ? Il était trop tard pour récupérer l'argent déjà donné, mais il s'était volatilisé avec cet ordre. » Il posa le document sur la table.
« Nous avons donc rendu visite à Hyatt en espérant pouvoir le convaincre de se rendre – à défaut d'être honnête, nous le pensions intelligent – mais lui et deux de ses complices nous sont tombés dessus et m'ont passé à tabac. Je ne dois ma survie qu'à John ici présent. » Clin d'oeil : ce n'était pour le coup qu'un semi-mensonge.
« Il a également réussi à récupérer l'ordre. - Ceci est bel et bon, monsieur Fairfax. » Atric paraissait manifestement intéressé, mais aussi un peu incrédule.
« Mais je ne vois pas en quoi notre établissement pourrait vous aider aujourd'hui.-Nous savons que Hyatt ne cessera pas de vouloir nuire à monsieur Chambers. Nous savons également que toute cette histoire, révélée au grand jour, sera un véritable scandale. Cet argent doit être mis à l'abri. » Il fit une pause, et expliqua :
« L'identité de David Hyatt est connue, nous savons et vous savez à quoi il ressemble. Mais il est très probable que ses deux complices viennent vous voir. Burgess a vu du polynectar chez eux, et de faux papiers. Ils vont probablement essayer de se faire passer pour nous, de manière très réaliste. Il ne faudra rien leur donner, il faudra appeler la police magique. » Assurer ses arrières. Gagner du temps : deux principes qui gouvernait l'action d'un bon voleur.
« Notre visite, elle, doit rester confidentielle. Rien ne doit filtrer, nous ne sommes pas venus. Nous devons mettre cet argent en sécurité. Nous demandons donc votre aide pour le transférer sur un compte hors de votre banque. Il n'a pas d'existence officielle. Nous voulons éviter la découverte de ce compte. Nous voulons éviter le scandale, également. Notre présence ne doit être notée nulle part. Nous ne sommes jamais venus. Monsieur Chambers est un vieux client, il est membre du conseil d'administration de la banque. Sa fortune est considérable. » Il fit une pause. Tout se jouait maintenant.
« Pensez-vous pouvoir faire quelque chose pour nous ? »Le gobelin examina l'ordre. Puis Tom. Puis Al. Puis l'ordre de nouveau. Il se passa quelques instants de pure terreur pour Tom – ils allaient se faire dénoncer, juger, enfermer, ça allait foirer – avant que Atric prenne de nouveau la parole :
« Nous allons inscrire ceci sur le numéro de compte de votre choix. Vous n'aurez qu'à voir avec les représentants de votre banque étrangère. La transaction sera immédiate et nous ne l'inscrirons pas sur les registres. Aucune trace ne sera conservée, mais nous comptons, bien sûr, sur la reconnaissance de monsieur Chambers...-Cela va de soit. » Tom dicta le numéro de compte – domicilié aux Iles Caïmans, l'argent était en fait en Suisse par une combine fiscale complexe.
« Monsieur Chambers est d'une nature généreuse. » Il observa le gobelin tapoter des touches d'une machine complexe et ancienne, qui transpirait la magie.
« Est-ce fait ?
-La transaction est conclue. Vous pouvez détruire l'ordre. » Ce que Tom s'empressa de faire. Le gobelin se leva, et ils firent de même, rejoignant la sortie.
« Au revoir, messieurs. Transmettez les amitiés de Gringotts à monsieur Chambers. -Nous n'y manquerons pas. » Tom était déjà debout, presque dans le hall.
« Venez, Burgess. » Ils traversèrent tout le hall pour ressortir, un peu éblouis, sur le Chemin de Traverse. Ils descendirent quatre à quatre les marches. Dehors. Ils étaient dehors. Tom n'avait jamais été aussi heureux de dire ça. Il dénoua sa cravate et la fourra dans sa poche. Dans la foule sorcière, personne ne remarqua le coup de baguette qu'il s'asséna à lui même pour faire disparaître sa moustache.
« Et si on allait chez moi prendre un verre chez moi ? Je crois qu'on l'a assez mérité. » Il se sentait lui même moyennement bien, le contre-coup de ses blessures sans doute, et de l'arnaque en elle même, et il avait besoin d'un remontant. Il devait être pâle comme la mort, et il avait besoin de s'asseoir.
- Spoiler:
HRP : je me suis permise de faire le passage à Gringotts sinon on s'en sortait pas
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