Lettre du front, pour l'unique et chaste vérité.
Je te souhaite le bonjour ou le bonsoir c’est selon. Tu es au courant sans doute de ce que j’envisage de faire. Cela fait longtemps que j’y pense et aujourd’hui j’ai les moyens peut-être d’assumer la grandeur de mes folles ambitions. J’ai parlé avec de nombreux amis, ma famille, tout le monde, pour le leur dire moi-même.
Mais toi c’est un peu différent, enfin un peu… Il y a en fait un gouffre de différence. Ce ne sera sans doute pas facile a lire, et crois-moi, l’écrire aura été un calvaire autant qu’une délivrance. J’aurais aimé te parler, te revoir, t’écouter, mais d’une certaine manière c’est plus facile comme ça.
J’éprouve depuis un temps qui me semble une éternité ces pulsions, pulsions qui sont devenues des fantasmes. Et petit-a-petit ces fantasmes se sont ancrés un peu plus chaque jours dans ma réalité, les fantasmes sont devenus des rêves, des désirs, puis des envies, et enfin des ambitions.
Je devais arrêter de rêver ma vie pour vivre mes rêves. Et pour approcher de mes rêves je le savais, je devais m’éloigner de mes racines. Mais a ce moment m’est apparu un nouveau rêve ou plutôt... Qu’un ancien a ressurgi des abysses de ma mémoire et ce rêve, cette ambition, est aussi forte que celle qui me pousse à m’éloigner de tous, mais aussi de moi.
Ce rêve j’aimerais pouvoir le réaliser autant que l’autre, mais en vivre un me forcera à oublier l’autre car pour l’instant, réussir les deux me paraît inconcevable. Si cette lettre que je t’écris a pour titre « Lettre du Front » ce n’est pas pour rien, ces lignes sur lesquelles je m’épanche sur mes pensées sont en fait une lettre du front de mon esprit qui est devenu un champ de bataille ou mes deux idéaux se battent dans une guerre violente et dévastatrice.
Ce Chaos de l’esprit, ce maelström de sentiments, qui font que ma raison s’éclipse à l’idée que je devienne ton amant, mon si bel ange d’apocalypse.
Oui tu as bien lu. Tu me connais, grand nostalgique, sentimental éperdu et romantique d’une certaine noirceur. Je rêve a chacune de mes occasions manquées, et depuis j’erre dans un pays d’imaginaire. Comme dit précédemment ; je rêve ma vie et ce qu’elle aurait pu être. Tu es une femme brillante, et je me doute que tu as deviné depuis longtemps l’ampleur de mes sentiments, trop grande pour n’être qu’une simple et franche amitié.
Avec toi je me suis toujours senti à nu, comme si tu pouvais voir celui
qui se cache derrière le masque et la cape de mon égo apparemment
sur-dimensionné.
L’exacerbation de mon égo justement n’est qu’un remède a mon plus profond complexe, celui de ne pas être le héros de ma propre vie, car son personnage central… C’est toi.
Crois bien que ca me navre et que je m’exaspère souvent de ne pas être maitre de mes sentiments. Me sentir comme leur esclave m’insupporte, moi qui ai toujours fait l’éloge de la prépondérance de la raison sur le sentiment. Je traine ma trop grande affection pour toi comme un fardeau depuis aussi longtemps que ma mémoire se souvienne. J’ai pensé qu’a force de le trainer, ce fardeau s’allègerait, s’éroderait. En conséquence, inconsciemment je l’ai mis quelque part dans un coin de ma tête, jusqu'à ce que tu débarques à nouveau dans ma vie et ce fardeau m’est revenu aussi lourd qu’une montagne que je ne pouvais déplacer. Et il a fallu que tu te détournes de moi et que je fasse face a un nouvel horizon pour réaliser qu’au lieu de déplacer cette montagne, je pouvais simplement la gravir, me tenir a son sommet, dominer cet obstacle que tu es pour trôner fièrement dessus: assumer le fait que je sois amoureux.
A chaque fois j’étais tiraillé entre mes sentiments et ma raison. Mes sentiments qui ne voulaient qu’être partagés, et ma raison qui, de son approche plus lucide, me faisait garder les pieds sur terre, quelle ironie pour moi qui suis tout le temps dans les nuages…
Bref je n’ai jamais rien dit, j’avais peur que tu dises « non », que tu t’éloignes de moi à cause de cette révélation et que du coup, tu ne sois même plus une amie. Et pourtant à chaque fois je répétais la scène dans ma tête, ressassant ce que je devais dire ou faire, a tel point que je savais tout par cœur. Cependant, dès lors que j’étais en face de toi… J’avais un bug. Je déraillais comme un vieux cd trop rayé pour qu’on puisse en écouter la chanson. Même quand j’en faisais allusion, c’était en déconnant, pour justement, ne pas être pris au sérieux. Que tu croies que c’était dit « comme ça » avec un brin de perversion taquine comme je le fais si bien.
J’ai beau te courir après indéfiniment, j’ai l’impression que tu t’éloignes un peu plus a chaque fois avant que je comprenne que c’est la peur qui me fait courir en arrière comme si j’étais en déroute. Dans mon corps c’est la bérézina, la Retraite de Russie. Je me résigne, j’essaie de réfréner mon désir. Mais ce désir si ardent s’attise follement devant l’amère fatalité du temps. Oui je sais, ce n’est pas ce qu’on pourrait qualifier de « normal » mais tu sais bien que je ne suis pas tout à fait sain d’esprit, et tu m’apprécies d’ailleurs pour cela. Non à vrai dire je suis un peu fou. Fou de toi c’est indéniable.
J’ai envie de partir, de tout quitter, pas pour ne jamais revenir, mais contraire pour mieux y retourner, pour m’y retrouver enfin. A force de me perdre je pense que ca me ferait du bien. Il n’y a qu’une seule personne qui pourrait m’en empêcher : c’est toi.
J’aimerais que tu lises ceci, rien que par curiosité malsaine d’éprouver ta réaction. Mais ce sera impossible si ces lignes ne te parviennent jamais. Elles vont finir comme les plus belles opportunités de ma vie et y siéger en reines : dans mes brouillons inachevés.
Je suis incorrigible je sais. J’en deviens pitoyable. Mais mon égo comme toujours, sauvera les apparences, il le fait si bien ; il est habitué.
Je t’aime. Et le pire, c’est que je m’en excuse.
Cette lettre, fût découverte par Cassandre, sur le bureau de Julien, en vrac parmi les affaires qu'il n'avait pas daigné emmener avec lui. Horrifiée et affolée en s'apercevant qu'elle ne l'avait manqué que de quelques minutes, elle s'effondra sur le sol, le bout de papier dans sa main, laissant une larme couler dessus. Elle le maudit, maudit de ne pas lui avoir dit tout cela plus tôt, maudit d'être parti, de l'avoir laissé seule ici avec cette amère révélation.
Le plus dur quand nous partons, ce ne sont pas les adieux, c'est de décider ce qu'on emporte avec soi, et ce que nous laissons derrière nous... Car l'une des plus grandes expériences de la vie, c'est l'abandon.